Si aujourd’hui les autorités chrétiennes appellent fréquemment à la tolérance, il est bon de rappeler que la tradition chrétienne est faite d’intolérance. À la différence de nombreuses religions contemporaines, le christianisme était une religion exclusive depuis l’époque paulinienne et interdisait d’autres dieux ou pratiques à ses fidèles. C’était aussi une religion universaliste se proclamant la seule véritable religion pour l’ensemble de l’humanité. Alors que le judaïsme était également exclusif, il n’était pas universaliste et ce n’était pas un choix religieux facilement disponible aux personnes d’une ethnie non juive. Le christianisme enseignait au contraire qu’il était la seule religion valide pour tous. C’était une religion volontariste que les hommes étaient libres de choisir et devaient choisir. Ainsi, le christianisme était aussi une religion qui faisait du prosélytisme et qui cherchait à persuader les gens que toutes les autres religions étaient diaboliques, les condamnant comme tels.
Pendant des siècles, l’Église catholique a fait de la conversion des païens sa principale mission, en y incluant les croyants de toutes les autres religions. Alors qu’il fallait convertir les païens, ceux qui étaient familiers avec « la véritable foi », mais avaient d’une manière ou d’une autre mis en doute les enseignements de l’Église, étaient non seulement excommuniés de l’Église mais aussi exterminés par la mort (à la demande formelle de Saint Thomas d’Aquin).
L’intolérance chrétienne envers les autres religions s’est seulement atténuée à la Réforme, et progressivement depuis lors. Les manifestations antérieures de tolérance en Europe centrale n’étaient applicables qu’aux princes, et leurs sujets devaient embrasser la foi catholique ou luthérienne de leur maître selon le principe adopté lors de la paix d’Augsbourg en 1555 : culus regio, eius religio (dans le pays du prince, c’est la religion du prince). Dans les territoires influencés par l’Église calviniste réformée, la tolérance était quelquefois élargie aux calvinistes mais les groupes appartenant à la soi-disant Réforme « radicale » (les anabaptistes et les huttérites) et plus tard les sociniens et les unitariens continuaient à être persécutés tandis que les athées ne devaient pas du tout être tolérés, selon les théories de tolérance avancées même par les plus éclairés des philosophes tels que John Locke.
La meilleure garantie contre la division sociale dans un tel pluralisme religieux ne résidait pas dans une tentative d’imposer la conformité religieuse, mais d’établir la tolérance religieuse comme principe transcendant les doctrines et les croyances de toute religion.
Finalement, le principe de la « Bible ouverte » adopté par la Réforme et « le sacerdoce de tous les croyants » ont mené à l’érosion régulière de l’intolérance enracinée dans la tradition chrétienne. Les groupes dissidents ont acquis des droits limités à la croyance de leur bon vouloir, de façon plus manifeste en Angleterre sous le règne de Guillaume et Marie en 1689. Il subsistait certaines restrictions qui se sont progressivement assouplies et ont finalement été atténuées durant les deux siècles suivants. Les classes dirigeantes d’Europe ont progressivement abandonné la théorie selon laquelle la cohésion sociale dépendait largement du maintien de la conformité religieuse. Cette leçon a davantage porté ses fruits aux États-Unis, comme ils ont dû accueillir une grande diversité religieuse au sein de leur population (parmi laquelle se trouvaient nombre de réfugiés ayant fui les persécutions religieuses en Europe). La meilleure garantie contre la division sociale dans un tel pluralisme religieux ne résidait pas dans une tentative d’imposer la conformité religieuse, mais d’établir la tolérance religieuse comme principe transcendant les doctrines et les croyances de toute religion. À l’opposé des anciennes croyances européennes et du besoin de coercition religieuse, les États-Unis avaient compris que le principe de tolérance était indispensable à la cohésion sociale d’une population religieusement diversifiée. C’est ainsi que dans le contexte américain, la tolérance et la liberté religieuse étaient des principes supérieurs à tout système religieux. La création même d’un état laïc dans lequel le gouvernement n’avait pas à établir la religion ni à se montrer partial ni à favoriser une religion plutôt qu’une autre était devenue la garantie première des droits en matière religieuse.